Deep Purple + Cowboys & Aliens, 25/01/2006,
Forest National, Bruxelles.
Il fut un temps où Deep Purple était
mon groupe préféré. Il fut un temps aussi
où dans les années 70, le quintet anglais pointait
à la porte du mont Olympe des rock bands, se disputant
avec Led Zeppelin et Black Sabbath la place de plus gros dinosaure
du hard rock, enfilant les numéros un comme des perles
et vendant les disques par tombereaux entiers. Puis le marteau
de l'Histoire est venu frapper lourdement sur la table pour rendre
son verdict.
Trente ans plus tard, les groupes que l'on retiendra
comme les plus importants de la période antique du heavy
métal sont Led Zeppelin et Black Sabbath, Deep Purple se
contentant d'une troisième place qu'il a même du
mal à préserver face à des contestataires
qui s'arrangent habilement pour se faire reconnaître comme
fondamentaux, les Blue Öyster Cult, Alice Cooper et autres
Mountain. La lutte est dure pour se réserver un strapontin
dans la galerie des légendes immortelles et les aventures
du Pourpre Profond depuis près de quatre décennies
ont montré qu'il avait commis un certain nombre d'erreurs
à ne pas faire pour se construire une aura mythique indiscutable.
Premièrement, changer 25 000 fois de personnel.
Black Sabbath l'a fait aussi mais quand Ozzy est parti, le Sab
a eu la décence de devenir un groupe de série C
presque oublié dans les années 90, avant de renaître
de ses cendres à l'occasion de reformations occasionnelles
avec l'équipe d'origine. Led Zeppelin, lui, a tout compris
: sabordage dès le premier mort.
Deuxièmement, persister à penser
que l'on pouvait refaire In rock ou Machine head à l'infini
et se reformer à grand bruit après huit ans d'absence
pour reprendre le cycle albums-tournées, comme si de rien
n'était. Led Zeppelin l'avait aussi compris : quitte à
se reformer, autant le faire en intégrant les nouvelles
influences musicales que les musiciens avaient expérimentées
au cours des années précédentes.
Troisièmement, inonder le marché
d'albums live à répétitions avec toujours
quasiment les mêmes titres au programme. A un moment ça
lasse. Black Sabbath a finement joué là-dessus en
ne sortant qu'un seul album live avec le retour d'Ozzy, et basta.
Et surtout sans refaire d'albums en studio.
Deep Purple a donc choisi la voie de la reformation
en 1984 après une première dissolution en 1976 (terrassé
par le punk et une tendance malsaine à courtiser le funk).
Bien sûr, tout le plan était conçu sur les
performances du guitar-hero Ritchie Blackmore, aussi habile sur
un manche que caractériel dans la vie. La sauce n'a pas
vraiment pris et Blackmore est retourné à ses amours
(une reformation éphémère de Rainbow et des
albums de folk médiéval avec sa muse Candice Knight).
En 1996, Deep Purple présenta son nouvel animal de la six-cordes,
Steve Morse, un yankee aux doigts de fée ayant fricoté
avec le progressif sudiste (les Dixie Dregs) et son propre groupe
de rock ultra-technique (le Steve Morse Band). La bagarre reprit
avec une série d'albums plus ou moins intéressants
mais il faut reconnaître que les années 2000 réussirent
plutôt bien au gang anglais, dont les membres d'origine
sont désormais Ian Gillan, Roger Glover et Ian Paice, celui-ci
étant encore plus d'origine que les autres puisqu'il est
le fondateur du groupe en 1968, alors que les deux premiers ne
sont arrivés qu'en 1969, en remplacement d'un premier chanteur
(Rod Evans) et d'un premier bassiste (Nick Simper).
Avec les deux derniers albums en date, Bananas
(2003) et Rapture of the deep (2005), le sang neuf apporté
par Steve Morse (et maintenant par Don Airey qui remplace lui
aussi l'organiste Jon Lord que l'on pensait indéboulonnable)
semble circuler à nouveau dans les veines du vieux monstre
qui en est à 38 ans de carrière.
Aujourd'hui, avec Rapture of the deep, Deep Purple
affiche son 19ème album studio (je n'ose plus compter les
albums live officiels ou semi-officiels, sans parler des pirates
dont certains sont carrément vendus en coffret à
la FNAC) et vient le défendre sur scène à
l'occasion de ce qui doit bien être sa 825ème tournée
depuis tout ce temps.
Le public belge a massivement répondu à
l'appel en achetant jusqu'au dernier billet disponible, remplissant
ainsi jusqu'à la gueule un Forest National qui doit pouvoir
contenir une petite dizaine de milliers de personnes. Jeunes et
moins jeunes s'amassent autour des barrières d'entrée
et j'ai beau faire partie des premiers, je dois laisser passer
des régiments entiers de spectateurs lors de l'ouverture
des portes car j'ai en poche le billet d'un ami qui tarde à
venir. Lorsqu'il est là, nous entrons bien après
la majorité des gens. Je me vois déjà relégué
dans les tribunes du haut, condamné à voir évoluer
Deep Purple à travers un télescope mais non, il
ne faut jamais déclarer forfait et nous voilà quand
même dans les deux ou trois premiers rangs de la fosse,
légèrement à gauche de la scène.
On ignorait s'il y avait une première partie
mais effectivement, et c'est une belle surprise pour les amateurs
de Stoner, car c'est Cowboys & Aliens qui ouvre le feu. Je
me languissais de voir un jour ce groupe belge sur scène,
encore impressionné par son premier album directement sorti
d'une usine de chars lourds. Pour un défenseur acharné
du Stoner comme moi, pouvoir annoncer au monde connu que les Cowboys
& Aliens ont effectué un raid surprise dans les rangs
de milliers de spectateurs bien sages venus écouter leur
groupe de vieux préférés est un véritable
plaisir. Ce type de groupe en général confiné
dans des salles de concert grandes comme ma cuisine a pu mener
avec brio une incursion hors du monde souterrain et venir frapper
en plein cur des amateurs de classic rock. Je dois être
le seul à sautiller dans mon coin à des dizaines
de mètres à la ronde, au milieu d'auditeurs apathiques
absolument pas préparés pour ce choc. Non, Madame,
ce ne sera pas un groupe de reprises de Toto qui fera la première
partie de Deep Purple, c'est du bon gros Stoner ventru et taillé
dans du pot d'échappement de Chopper. Inutile de vous dire
qu'après la prestation de Cowboys & Aliens (35 minutes
au compteur), je vais en entendre des vertes et des pas mûres
autour de moi, certaines mères de famille à peine
plus âgées que moi osant déjà crier
au scandale, telles de vieilles septuagénaires moisissant
sur pied. Le secret de la jeunesse ? Savoir évoluer, ne
pas rester scotché dans ses convictions ou sur les disques
qu'on écoutait il y a vingt ans. En tous cas, moi, je suis
heureux comme un pape.
Bien sûr, on ne va pas bouder son plaisir
en voyant arriver sur scène Deep Purple, un des derniers
monstres sacrés du heavy rock, toujours fringuant malgré
sa moyenne d'âge qui approche la soixantaine. Le Pourpre
attaque son show avec Pictures of home, un petit titre de son
album Machine head de 1972, annonçant déjà
la couleur vintage des débats. Pourtant, Deep Purple va
placer pas moins de six titres de son dernier album, dont un Things
I never said uniquement disponible sur le pressage japonais du
CD.
L'autre album bien en vue est évidemment
Machine head, dont les cinq titres : Pictures of home, Lazy, Space
truckin, Highway star et l'inévitable Smoke on the water
vont propulser le public en plein cur des Seventies. L'autre
album légendaire : In rock est représenté
par Living wreck et Speed king en rappel. Les autres morceaux
sont issus de Perfect strangers (1984) et Purpendicular (1996).
Roger Glover est juste devant moi et change de
basse toutes les deux chansons. Son camarade Ian Gillan, avec
qui il joue depuis plus de quarante ans (leur association remonte
à l'époque des Episode Six, groupe beat anglais
des années 60), glisse pieds nus sur scène, chemise
blanche et pantalon noir, épargné par l'âge.
Steve Morse règne en maître sur les solos de guitare.
Il n'a pas l'exubérance et la flamboyance du style de Ritchie
Blackmore, que l'on pensait être la cheville ouvrière
du groupe, mais il se pose néanmoins en véritable
Robin des Bois du manche.
L'autre nouveau venu, le claviériste Don
Airey, a un pedigree royal en matière de heavy rock : plus
de trente ans dans la machine à bruit, complice de Cozy
Powell à l'époque du très inconnu Hammer
en 1974, puis ex-Colosseum II, ex-Rainbow, ex-Gary Moore, ex-Ozzy
Osbourne, ex-Jethro Tull, ex-Whitesnake. Ses références
sont inattaquables et il ne démérite pas dans la
tâche qui lui incombe de remplacer le légendaire
Jon Lord. Le solo bouillonnant et athlétique qu'il exécute
entre Lazy et Perfect strangers le prouve. On voit par contre
peu le discret Ian Paice, caché derrière sa batterie
mais qui sait toujours se rappeler à notre bon souvenir
à l'occasion d'un mitraillage de fûts ou d'un pétaradant
solo.
Le groupe termine un show carré et professionnel
avec le tiercé gagnant sorti de Machine head dont Smoke
on the water est la pièce maîtresse, donnant à
Roger Glover l'occasion de sortir son historique Rickenbacker
4001. Le public qui n'attendait que ça, se laisse aller
à la joie débridée d'écouter une chanson
qui se contente en fait de raconter très prosaïquement
les circonstances dans lesquelles Deep Purple a dû enregistrer
son album Machine head en Suisse en décembre 1971, après
que les studios où ils devaient travailler aient brûlé
lors d'un concert de Frank Zappa dans le casino de Montreux, jouxtant
le studio. Des paroles bricolées sur place pour un riff
qui restera comme l'une des quatre ou cinq grandes trouvailles
rock de l'histoire du genre.
Le rappel propose une dernière incursion
dans le temps, avec un Speed King émaillé d'un solo
de batterie et d'un medley hommage à Elvis Presley, auquel
succède Black night, chanson du 45 tours édité
en 1970 qui ouvrit au Pourpre les portes de la gloire internationale,
juste avant la sortie de In rock. Au fait, saviez-vous que Deep
Purple avait pompé la mélodie de Black night sur
un vieux morceau des Blues Maggoos, obscur groupe psychédélique
américain des années 1967-68 ? Mais chut, c'est
un secret
Après deux heures d'un show chronométré
à la montre suisse, Deep Purple abandonne un public ravi
et le laisse retourner dans la grisaille et surtout la froidure
de l'hiver. Ces diables d'Anglais n'ont pas encore épuisé
tout leur potentiel énergétique et c'est après
un show de cette trempe que je peux à nouveau conclure
que Deep Purple est mon groupe préféré. De
temps en temps.
François.
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