Notre homme méprise l'anecdote, Il en a toujours été
ainsi. Même si parfois il dit l'explorer pour en élaborer
d'insolents concepts. Entre les pages d'un livret particulièrement
soigné, l'artiste place Heathen ( son dernier cru), sous
la protection lettrée de trois grimoires contemporains
: " L'interprétation des rêves " de Sigmund
Freud, " Le gai savoir " de Friedrich Nietzsche et "
La théorie de la relativité restreinte et générale
" de Albert Einstein...
Bercé par l'écoute des Vier Letzte Lieder (Quatre
Derniers Lieders) de Richard Strauss, Bowie a d'abord composé
Sunday, Heathen, 5 :15, The Angels Have Gone et I Would Be Your
Slave. Il s'en explique en disant : " Ces compositions que
Strauss écrivit à l'âge de 84 ans, juste avant
de mourir, portent un sens particulier d'universalité.
Ce sont là, je pense, les morceaux les plus irrésistiblement
romantiques, tristes et poignants jamais écrits. "
" Les autres titres de 'Heathen', ajoute-t-il, "je les
ai abordés de façon plus décontractée.
"
Conseillé dès le printemps 2001 par le guitariste
David Torn, Bowie est allé enregistrer Heathen en pleine
nature, dans les collines de Woodstock (U.S.A.), surplombant les
eaux lénifiantes du bassin d'Ashokan.
Il retrouve son complice des vieux jours, le producteur Tony
Visconti, avec lequel il commit tant de flamboyants opus : Space
Oddity, The Man Who Sold The World, Young Americans ou autres
Scary Monsters
" Le premier musicien que Tony et moi
avons choisi pour Heathen fut Matt Chamberlain. Je connaissais
son excellente réputation et j'avais eu la chance de le
croiser en studio avec Natalie Merchant
Aujourd'hui, l'important
pour moi est de travailler avec des gens qui ne soient pas des
divas ou des égomaniaques, et Dieu sait si j'en ai pratiqués
! Mais je n'ai désormais plus de temps à leur accorder.
À présent, les gens avec lesquels je collabore sont
équilibrés et savent qui ils sont
"
Troisième acolyte : le guitariste David Torn. "
Son travail, dit Bowie, est très spirituel, et possède
une qualité fragile et éphémère que
j'adore. " Enfin, il faut citer les invités, un brelan
de prestigieuses gâchettes : Dave Grohl, acéré
à souhait sur I've Been Waiting For You, Pete Townshend
qui larde Slow Burn de ses accords stratosphériques et
Carlos Alomar, l'ex-complice, présent sur Everyone Says
Hi.
1 - Sunday
On pourrait d'abord penser, à l'écoute de ce texte,
qu'il s'agit d'une évocation fragmentée des événements
du 11 septembre. Il n'en est rien puisque la composition de l'abum
est antérieure à la tragédie des 'Twin Towers'.
" Je suis peu doué pour dresser des bilans politiques
mondiaux, mais en revanche je sais très bien repérer
et explorer les poches éphémères de doutes
et d'anxiété rampante
" raconte Bowie.
" Les paroles de Sunday ont surgi malgré moi, fluides,
avec simplicité et la chanson s'est faite comme ça.
Par la fenêtre, je voyais deux daims qui broutaient sur
les pelouses, et au loin glissait lentement une voiture. C'était
très tôt, le matin, et il y avait à l'extérieur
quelque chose de si paisible, si primal, que des larmes ont coulé
sur mes joues alors que j'écrivais ce texte. Ce fut extraordinaire.
"
2 - Cactus
" Cette chanson des Pixies a été, d'après
moi, injustement sous-estimée, comme d'ailleurs l'ensemble
des compositions de Charles (Frank Black). Je ne pourrais jamais
accepter le fait que les Pixies se soient formés, aient
travaillé et aient splitté sans la moindre reconnaissance
aux Etats-Unis
On aurait pu au moins reconnaître leur
existence ! C'est là une disgrâce insupportable.
Les Pixies et Sonic Youth ont été si importants
pour les années 80. " Volant au secours des défavorisés,
Bowie s'est donc mis à l'uvre. " Je suis ravi
que la plupart des parties instrumentales que j'ai jouées
sur l'album aient été, au final, conservées.
Sur 'Cactus' notamment, c'est moi qui joue de la batterie, cela
sur un loop de mon cru. En fait, le seul instrument qui n'est
pas de moi sur ce titre, c'est la basse. Tony Visconti s'en est
chargé. "
3 - Slip Away
" 'Slip Away' et 'Afraid' ont été enregistrés
au début de l'année passée et j'adore ces
deux titres. J'ai aussitôt décidé de les intégrer
dans cet album. Nous avons complètement retravaillé
'Slip Away' sur les loops très inspirés du batteur
Matt Chamberlain. Dans les années 70, je me souviens que
- à une certaine heure de l'après-midi - tous les
gens que je connaissais se ruaient littéralement devant
leurs téléviseurs pour ne pas manquer le show d'Uncle
Floyd. On avait l'impression que son show était improvisé
dans son salon du New Jersey. Tous ses potes étaient de
la partie et c'était absolument tordant. C'était,
je pense destiné aux mômes, et pourtant les gens
de mon âge n'auraient raté ça pour rien au
monde. On se roulait sur le sol de rire
Il y avait deux
personnages réguliers, Oogie et Bones Boy, deux marionnettes
ridicules faites de balles de ping-pong ou de trucs dans le genre.
Je parle d'eux dans la chanson. J'ai réellement adoré
cette émission de télé. "
4 - Slow Burn
" Pour la première fois, depuis l'enregistrement de
'Let's Dance', j'ai la chance de retrouver cette fabuleuse section
de cuivres que sont les 'Borneo Horns'. 'Slow Burn' est le morceau
que je préfère sur l'album. Mélancolique,
un peu triste, avec une puissante pulsion Rhythm and Blues. Pete
Townshend a lardé le morceau d'un trait de guitare incendiaire.
Son jeu est anguleux, profondément senti, émouvant.
J'adore ça. "
5 - Afraid
" J'adorais la toute première version de 'Afraid '
enregistrée avec Mark Plati, aussi Tony Visconti et moi
lui avons demandé de retravailler ses parties de guitare
pour qu'elles s'intègrent mieux au reste de l'album. Tony
a ensuite enregistré la basse puis a mixé le tout.
Je pense que 'Afraid " va être une fantastique chanson
de scène. Bien sûr, son sens est totalement ironique,
genre : si nous jouons le jeu, tout se passera bien
"
Et Bowie d'entonner, dans le couplet final : " Si j'ai foi
en la médication / Si je peux esquisser un pauvre sourire
/ Si je peux m'exprimer à la télévision /
Si je peux parcourir un kilomètre à ciel ouvert
/ Alors je cesserai d'avoir peur / Je cesserai d'avoir peur
"
6 - I've Been Waiting For You
" Cette chanson de Neil Young figurait sur son tout premier
album. Quand j'ai acheté ce disque, en 1969, j'ai été
fasciné par la complexité globale du son. C'était
à la fois majestueux, aérien et porteur d'une profonde
solitude
Neil Young est un artiste fantastique. En utilisant
simplement 4 ou 5 instruments - orgue, batterie, basse, guitares
- il a réussi à créer ces sons sophistiqués,
quasi futuristes. De plus, j'adore cette chanson et j'ai toujours
voulu l'interpréter, sur scène ou ailleurs ".
7 - I Would Be Your Slave
" Début septembre, tout était prêt pour
les enregistrements
et puis arriva le 11 fatidique ! En
plus de nos préoccupations pour nos amis et nos familles,
nous avons été confrontés à un nouveau
problème, si étrange, si profondément décalé
: celui de faire venir en studio le Scorchio Quartet de New York
pour jouer les parties que Tony leur destinait. Ce fut déjà
miraculeux qu'ils en acceptent l'idée après avoir
vécu une expérience si traumatisante. Mais comme
ils l'ont dit, c'était un intermède nécessaire
qu'il s'offraient là. Pour eux, ça n'a pas été
commode d'arriver jusqu'à Shokan. Il n'y avait plus de
trains, plus de transports, les routes étaient coupées
et le fait qu'ils aient pû nous rejoindre les honore. Je
leur en serai éternellement reconnaissant. Le premier morceau
sur lequel nous avons travaillé ensemble a été
'I Would Be Your Slave', une prière destinée à
l'être suprême pour lui signifier, d'une certaine
façon, quels seraient nos points d'entente. Trop déchirant,
dérangeant
"
8 - I Took A Trip On A Gemini Spaceship
" Cette chanson a été composée par l'une
de mes premières influences musicales : Le Legendary Stardust
Cowboy, un artiste obscur d'Austin (Texas). Comme moi, il était
signé chez Mercury dans les années 60. Bien sûr,
j'ai piqué une partie de son pseudonyme pour le coller
à Ziggy. Il y a quelques mois, j'ai lu sur son site web
qu'il voulait que je chante l'une de ses chansons pour le dédommager
d'avoir emprunté un segment de son nom. Je me suis senti
coupable et j'ai décidé aussitôt de faire
amende honorable. J'ai choisi de reprendre l'une de ses meilleures
chansons, 'I Took a Trip on a Gemini Spaceship'
La mélodie
originale était tellement étrange, chaotique, que
j'ai dû totalement la recréer. "
9 - 5 :15 The Angels Have Gone
" C'est l'histoire d'un homme qui, un jour, a pu apercevoir
ses anges - ses espoirs et aspirations, peut-être ? - mais
qui par la suite est incapable de les retrouver. De ce fait, il
condamne l'absurdité accablante de la vie
"
10 - Everyone Says " Hi "
" C'est une chanson sur la mort même si je l'évoque
de façon très métaphorique. Le bateau dont
je parle est celui qui traverse le Styx. Plus jeune, lorsque mon
père mourut, j'avais ce sentiment très fort qu'il
était en fait -littéralement ! - parti quelques
jours en vacances. Voilà donc le cur de cette chanson
: on imagine que nos proches, lorsqu'ils meurent, partent simplement
faire un petit tour. Je me demande où ils sont, et où
qu'ils soient, j'espère de tout cur qu'il s'agit
d'un lieu agréable. "
11 - A Better Future
" A Better Future " a été écrite
pour ma fille. C'est une chanson d'une grande simplicité
qui en substance dit : "Dieu, si tu ne changes pas cet ordre
de choses, je vais cesser de t'aimer " On ne tourne pas autour
du pot, c'est plutôt du genre : " Qu'es-tu en train
de nous faire ? Pourquoi as-tu permis que ma fille naisse dans
un monde de chaos et de désespoir ? J'exige un meilleur
futur ou je vais définitivement cesser de t'aimer. "
En gros, c'est une menace lancée à Dieu (rires).
Dans cet album, il y a plusieurs menaces que je lance à
Dieu, mais la plupart d'entre elles sonnent comme des chansons
d'amour. "
12 - Heathen (The Rays)
" 'Heathen' fut l'une des premières chansons que j'ai
écrites. Très vite, son titre est devenu provisoirement
celui de l'album. Mais une fois l'album enregistré, nous
avons décidé de garder définitivement ce
titre-là. C'est un mot très intéressant,
avec beaucoup de sous-entendus. Il assez difficile de le traduire.
On peut l'interpréter de différentes façons,
et cela en plus des deux significations que lui donne le dictionnaire.
D'une part, ça définit quelqu'un qui n'adhère
à aucune religion : judaïque, chrétienne, islamique.
D'autre part, ça définit quelqu'un qui n'est pas
éclairé, qui est barbare, destructeur et iconoclaste.
"
Le premier concert de cette tournée 2002 fut une réussite.
Au Roseland Ballroom (N.Y), le 11 juin 2002, Bowie et son gang
ont joué l'intégralité de l'album "
Low " (et dans l'ordre chronologique du disque !) - pause
de 10 minutes - puis l'intégralité de l'album "
Heathen " (dans l'ordre chronologique du disque !) avant
de conclure avec un " Hallo Spaceboy ", un " Ashes
To Ashes ", un " Fashion " et un " I'm Afraid
Of Americans " à décrocher les mâchoires.
Il passera par chez nous le 14 juillet dans les arènes
de Nîmes. Ne le manquez pas. Vous y gagnerez de bien beaux
souvenirs, comme d'usage.
En savoir
plus sur David Bowie.
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