Diana Krall, 04/10/2002, Forest National de Bruxelles.
Lettre à Diana Krall.
La pianiste et chanteuse Diana Krall a joué
cette semaine à Forest National à Bruxelles devant
deux mille personnes. Belle performance pour du jazz en Belgique.
Pourtant il y a trois façons de considérer ce concert.
La première :
Vous avez découvert Diana Krall avec son dernier album
hypermédiatisé The look Of Love, Vous avez aimé
sa voix et c'est votre premier concert de jazz ! Ok
vous avez passé une bonne soirée car tout était
bien réglé . Les interprétations des morceaux
archi- connus (I've got you under my skin, Let's fall in love,
Fly me to the moon ...) vous ont fait frissonner et battre du
pied.
Le trio accompagnateur (bonne guitare , batteur en règle
de balais et bassiste ne se prenant pas trop les doigts dans les
cordes ) vous ont fait penser que vous aviez bien fait de dépenser
70 euros pour écouter du jazz. La voix de Diana Krall vous
a charmé et cette façon de s'accompagner en montant
dans les graves vous a définitivement conquis. Bref vous
avez rencontré le groove jazz et même l'émotion
lors de la reprise en solo de A Case of You de Joni Mitchell par
la belle canadienne. .. Au moins vous reconnaîtrez le morceau
quand vous l'entendrez à la radio.
Donc 10 sur 10, bon spectacle, c'est certain
vous aimez le jazz . Bienvenue au Club .Et tant mieux pour vous
car il faut de tout.
Second cas de figure :
Vous avez déjà été à de nombreux
concerts de jazz, vous avez même acheté les premiers
albums de Diana Krall . C'était bien réalisé,
bien swinguant et vous aviez envie de la voir. Bien sûr
The Look of Love , avec son sirop de violons et son répertoire
de musique de salle d'attente vous avait fait regretter votre
achat, mais comme il faut vivre dangereusement, vous y êtes
allé. Malheureusement la déception
était au rendez-vous... Après 15 minutes à
l'écoute de morceaux que vous avez aimés il y a
20 ans mais qui ont tous été repris depuis avec
plus ou moins de succès, vous vous êtes même
assoupis.
L'accompagnement était de qualité,
mais sans plus, pas d'enthousiasme et rien de très tonique.
Je serai méchant en disant un jazz de fonctionnaires mais
on n'en était pas loin. L'impression de remplir un contrat,
sans plus. Tout était réglé
comme du papier à musique, peu d'entrain, du pro à
100 %... Diana Krall a très peu souri
, n'a pas beaucoup transpiré et ses cheveux n'étaient
même pas décoiffés à la fin du concert.
Elle m'a semblé faire beaucoup d'efforts pour ne pas s'endormir
ou aller fumer une cigarette pendant les inévitables solos
de son trio. Aucune communication avec le public excepté
le traditionnel :" I Love Brussels" et "God bless
you", mis à toutes les sauces depuis le 11 septembre
2001. Tout cela dans une salle énorme, qui donnait l'impression
de regarder un concert en vidéo; la cigarette et les pieds
sur le fauteuil en moins.
Bref peut mieux faire !
Dernier scénario :
Malgré tout vous aimez Diana Krall
et vous le lui faites savoir en lui écrivant une petite
lettre.
Ma chère Diana ,
Que deviens tu ? J'ai assisté à
ton concert au Forest et je m'y suis un peu ennuyé. Que
fais-tu dans cette musique un peu monotone ? Pourquoi ne joues
tu plus que dans des grandes salles. Bien sûr tu plais au
grand public et tu amènes du monde au jazz, en cela bravo
car rares sont les artistes de jazz à rencontrer la faveur
du grand public. Mais ne nous oublies pas, tu es capable de mieux
. Abandonne le temps d'un concert ton trio d'accompagnateurs qui
me semblent confiné dans un rôle de figurants. Donne
lui l'occasion de se dégourdir les mains en lui offrant
un autre repertoire.
Quand vas -tu te décider à
te mesurer aux Grands?
Demande à John Scoffield de prendre
sa guitare, à Jeff Tain Watts de t'assourdir de son groove
à la batterie. Si Dave Holland est dans le coin, prends
le comme bassiste. Marsalis pourra t'écrire quelques morceaux
et ton amie Patricia Barber te rappellera qu'on peut composer
aussi des partitions étonnantes de piano. Va
revoir Marcus Roberts, Eric Reed ou Joe Calderazzo lorsqu'ils
martyrisent leur clavier.
Mieux propose à Joe Lovano de te mettre
à l'épreuve lorsqu'après ses extravagances
au saxo , tu devras reprendre le tempo.
Transpire à nouveau, fais toi mal.
Abandonne momentanément les grandes salles
pour de petits lieux, peut-être enfumés, mais où
le public t'aimera et te le prouvera de ses sifflets et de ses
encouragements. Ne nous oublie pas Diana, prouve-nous que tu as
ta place dans le firmament des Etoiles du jazz et pas seulement
dans le rayon variétés jazz des disquaires.
Bien à toi.
Etienne.
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