Le Rock dans tous ses Etats, 24/06 et 25/06/2005,
Evreux.
Pendant deux jours, Evreux est la capitale du
rock. Premier grand festival de la saison, il y a fort à
parier que la chaleur risque de se répandre à la
vitesse grand V tant la programmation semble alléchante.
Garbage, Sonic Youth, Tiken Jah Fakoly, le Peuple de l'Herbe,
Ska-p pour citer le gros calibre et Ghinzu, The Kills, Devandra
Banhart pour citer la dernière sensation. Faim de découvrir
des nouveaux ovnis, apprécier le dinosaure ? Avant tout,
c'est faire partie de cette communauté festivalière
qui nous enchante. Deux jours où l'espace temps n'a plus
d'importance, deux jours où hommes et femmes, jeunes, moins
jeunes, se retrouvent dans une sphère de décibels
et de campagne.
Nous sommes vendredi soir, il est 19h50. Pendant
que le site se tapisse progressivement de tentes Quechua côté
camping, Sonic Youth lance l'assaut sur la grande scène.
D'emblée, les new-yorkais lâchent leur déferlante
punk avec les guitares en proue. Ca commence fort. Avec l'assurance
et la rage d'une meute de loups, Kim Gordon et sa bande peuvent
se vanter d'avoir montré la voie à une génération
de jeunes accrochés à leurs guitares et clamant
la révolte.
Un peu plus tard alors que la nuit pointe, les
lyonnais du Peuple de l'Herbe arrivent très détendus
avec en tête cette mission : Faire bouger Evreux. Alors
qu'il est très difficile de tenir sa plume dans la fosse
enflammée, on se dirige quelques mètres en arrière
et on observe le delirium. Presque tous les sens sont en émoi,
l'ouïe, les yeux mais aussi l'odorat car la substance rôde
celle
qui fait rire. Bref, derrière ses basses lourdes, sa trompette
virevoltante, ça scratche à tout va, ça fusionne
reggae, dub, hip-hop. On aime.
Mon premier est une panthère en cage, mon
second est un robot rock mitraillette, mon tout est The Kills.
Autre couple phare de la scène rock après Jack et
Meg des White Stripes, VV et Hotel balancent du primitif, de l'urgent.
Le rock qu'ils proposent ne fait pas dans la finesse, ça
bouge dans tous les sens, ça harangue la foule, c'est métallique
sans être métalleux. L'appareil est simple, une guitare
ou deux, une voix ou deux. Cette voix que l'on aurait aimé
plus en avant, plus présente mais bon s'il fallait à
chaque fois taper sur l'épaule de l'ingé son
Place au prêcheur africain, Tiken Jah
Fakoly. Depuis le début de sa carrière, sa musique
et ses textes n'ont eu de cesse d'illustrer ses coups de gueule.
Evreux n'en dérogera pas. Pour clôturer cette première
journée sur la grande scène, le reggae engagé
de l'ivoirien vient à point nommé comme facteur
rassembleur. Toutes les chansons marquantes (" Françafrique
", " Le pays va mal ", " Tonton America "
)
sont là pour nous rappeler à l'ordre mais aussi
pour nous faire danser. Que demander de mieux, d'autant plus que
nous sommes à une semaine du live 8.
Déjà une journée passée
et on commence à s'habituer au statut de festivalier. Dos
coincé entre deux cailloux, bruits de djembés matinaux,
odeurs diverses émanant de dame WC d'appoint
Bref,
on se réveille en ce samedi mi figue mi raisin (ndlr. temps
maussade sur la Normandie) et on se prépare à un
saturday night fever in Evreux.
Première surprise de la journée,
Cake est remplacé par The Bravery. Enième
groupe en -the de 2004 (sortons calculatrice et exposants
)
acclamé et mis au rang de sauveurs du rock par certains
médias. Stop au mauvais esprit, allons voir. Première
chose surprenante : le chanteur, croisement entre Chris Isaak
et Morrissey. Certes, c'est un beau mélange, Raël
n'aurait pas fait mieux dans son labo en matière de clones
Bon, les chansons passent, c'est bien fait, ça sonne mais
décidément le clonage, déontologiquement,
ce n'est pas possible.
Pas chassés vers la scène b où
sont attendus les Coco Rosie. Définitivement premier
choc de ce festival, ce curieux groupe flower power est un rassemblement
de touche à tout - artistes. Dès le début,
on sait qu'on est parti pour un beau voyage : îles délicieuses,
coquillages, sirènes
Ca tombe bien, aux commandes
du projet, nous trouvons ces deux êtres. A la fois chanteuses,
musiciennes (elles alternent sur bon nombre d'instruments : harpe,
guitare, piano, harmonica
), elles offrent une musique surréaliste
où la mélodie a la part belle. Derrière,
comme du sucre glace pour saupoudrer, ce sont des petits bruits
de jouets et une human beat box exécutée parfaitement
par Spleen. On s'envole.
Probablement épuisés par leur actualité,
débordante à souhait (tournée, promo
),
les guerriers Ghinzu promus au rang de stars entament le
show avec le désormais classique Blow. On sent que le groupe
est devenu énorme en l'espace d'un an. Ca hurle, ça
bouillonne et quand le groupe attaque Do you read me, le single
imparable, c'est l'apocalypse. Minettes et slammers s'en donnent
à cur joie et là, on se dit, ces mecs là,
ils ont pris du grade mais le plus difficile est d'éviter
le piège Placebo
Peu dépaysés par l'environnement
normand, le Devendra Banhart Band pénètre
peace and love sur la scène et nous la fait façon
Crosby, Stills and Nash, toutes guitares acoustiques dehors. Le
folk blues délivré n'appartient pas à notre
époque et c'est avec plaisir que l'on voit s'enthousiasmer
le groupe sur des chansons proches de la perfection. Un peu à
l'image de son compatriote Adam Green, Devendra se lève
parfois de son tabouret pour chanter en se tortillant comme un
carambar vivant. Cette belle confrérie apparemment liée
à Coco Rosie (Monsieur Banhart étant apparemment
l'homme de compagnie de l'une des chanteuses de Coco Rosie) nous
gratifie d'une belle reprise de That thing de Lauryn Hill pour
le grand bonheur de l'audience qui pénètre dans
le cercle et espère ne jamais en sortir.
La grosse tête d'affiche est là.
Menée par la troublante et sexy Shirley Manson, la sensation
Garbage ne tarde pas à envoyer l'artillerie. Alignant
tubes d'il y a 10 ans et nouvelles chansons issues de leur dernier
opus (Bleed Like Me), Garbage attire un mode fou et même
quelques sous vêtements féminins qui ne manquent
pas de faire sourire Shirley. Tout fonctionne à merveille,
show, musique, attitude. Revigoré par le bon accueil de
Bleed Like Me, le groupe fait saigner et laisse la trace que l'on
attendait de lui.
Les huluberlus de Ska-P vont arrêter
de faire danser. C'est promis, c'est la dernière tournée
mais avant il s'agit de répandre encore un peu de sangria.
Même si les snacks n'en proposent pas, Ska-P est là
pour faire la fête et au passage, faire quelques déclarations
(clichés
) sur fuck the society. On s'amuse.
Le festival touche à sa fin, on peut encore
aller faire face aux beats techno du Banana Club et se retirer
dans son habitation de fortune située non loin. Comme chaque
année, c'est une petite parcelle de la Normandie qui s'enflamme
pour le grand bonheur de milliers de festivaliers. Aller, on plie
la tente, on rejoint la grisante capitale et on le jure, en 2006,
Evreux nous remettra dans tous nos états.
Nicolas.
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