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The Fuzztones + Power Solo, 04/04/2005, Nouveau Casino de Paris.

Mes camarades et moi les avions traqués, les Fuzztones. Treize ans que je n'avais pas vu ce groupe mythique et que j'attendais avec impatience de le retrouver sur scène. Tout avait commencé avec des rumeurs, puis un concert confirmé sur le site Internet du groupe : les Fuzztones sont de retour en Europe et vont jouer à Lille en compagnie des Seeds le 2 avril. Quelle souffrance! Ce jour-là, nous sommes en Hollande pour un bain de métal signé Judas Priest et Scorpions. Mais heureusement, on va pouvoir se rattraper avec un passage des Fuzztones à Paris le 4 avril.

Bien entendu, nous sommes les premiers devant la porte du Nouveau Casino et nous entrons les premiers dans la salle, toute petite avec une minuscule scène. Ca s'annonce intimiste.

Les réjouissances commencent avec Power Solo, un groupe danois donnant dans le garage-rock fifties fuzzy sentant bon la rébellion électrique, le boogie aigrelet et nerveux. Le trio est animé par un grand chanteur moustachu excité comme une teigne, ressemblant fortement à Benoît Poelvoorde et faisant bien marrer la foule avec ses grimaces et ses onomatopées. Il tient la guitare avec son "frère", guitariste également (il n'y a pas de bassiste).

Le matos est outrageusement vintage : guitare Hofner recollée de partout, guitare Danelectro d'un gris aveuglant, batterie composée de fûts disparates avec une grosse caisse cerclée d'ampoules lumineuses. Les pédales fuzz et wha-wha qui sont sous notre nez sont d'époque également. Effectivement, les Power Solo sont des puristes.

Leur musique est excitante comme un combat à la chaîne de vélo entre bandes rivales à la sortie d'un lycée technique. Les noms parlent d'eux-mêmes : Kim Kix (chant et guitare), Atomic Child (guitare) et JC Benz (batterie). Le chanteur communique chaleureusement avec le public et tente parfois des phrases dans un français très correct. Il nous propose des chansons aux titres idiots allant chercher leurs racines dans le psychobilly chère aux Cramps ou le garage boogie caillouteux rappelant "L'équipée sauvage". A propos d'équipée sauvage, le batteur arbore un Marcel aux couleurs du Black Rebel Motorcycle Club (pas le groupe américain actuel mais la bande à Marlon Brandon dans le film mythique de 1953). Ces types-là sont à fond dans le trip, je vous dis. Les guitaristes gambadent sur scène et se livrent à des combats de têtes, tels des mouflons sous caféine.

Le chanteur s'affale par terre et atterrit sur le moniteur de retour juste devant moi. Il part dans une série de pompes frénétiques alors que claquent des accords alliant surf music et punkabilly vaudou. Cerise sur le gâteau : Power Solo fait venir sur scène un certain Martin Stone, vieux hippie à chapeau qui donne à tout le monde une leçon de slide guitare qui ferait passer Johnny Winter pour un DJ techno. Martin Stone, ce nom me dit quelque chose : ex-Savoy Brown, ex-Pink Fairies, un monstre sacré de l'underground… Tout cela est excellent et dure une bonne heure. Lorsque le groupe démonte le matériel, j'arrive même à obtenir un autographe du chanteur.

Mais ce n'était que de la mise en jambe car les maîtres de cérémonie étaient attendus avec impatience. Je me souviens du jour où j'avais vu les Fuzztones pour la première fois, le 10 février 1992. A l'époque, je les connaissais par des émissions de radio initiatiques et ultrasecrètes qui vouaient un culte à cet incroyable combo américain spécialisé dans la reprise garage punk des Sixties. Car si les Fuzztones se sont créés en 1980, ils sont mentalement restés coincés en 1966. Well, it's 1966, OK ?

Depuis tout ce temps, le groupe n'a cessé d'être animé par le légendaire Rudi Protrudi, guitariste, chanteur et dessinateur de son état. Au tout début, il était accompagné de sa complice organiste Deb O'Nair, qui a longtemps joué avec lui au cours de multiples changements de personnels, morts et résurrections successives du groupe. Résultat : une dizaine de disques en vingt ans, tous obnubilés par le garage punk américain en transition vers le psychédélisme au cours des années 1965-67.

Les héros des Fuzztones ? Les Sonics, Paul Revere & The Raiders, We The People, les Fabs, le Chocolate Watchband, les Blues Maggoos, les Haunted, Gonn, les Standells, les Shadows Of Knight, les Amboy Dukes, les Moving Sidewalks, Lollipop Shoppe, les Electric Prunes, Love, les Stooges et tout ce qu'il peut y avoir d'inconnu dans l'Est des USA, le sud profond ou la Californie. Tout ce qui vient d'ailleurs et tout ce qui est postérieur à 1967 n'a aucun intérêt à leurs yeux.

Le plus grand album des Fuzztones ? Sans doute Lysergic emanations (1986), qui regroupe la quintessence des reprises des groupes garage punk qui ont fait les Sixties underground.

Où peut-on écouter les versions originales ? La meilleure façon est de se procurer Songs we taught the Fuzztones, une compilation sortie sur le label allemand Music Mania. Ou alors s'acheter les séries des Pebbles, des Back from the grave ou des Sixties rebellion (dont certaines pochettes sont illustrées par Rudi Protrudi lui-même).

Quoiqu'il en soit, le moment est venu de se faire emporter dans le temps car les Fuzztones viennent de mettre le pied sur la scène. Rudi Protrudi est entouré actuellement de jeunes spadassins directement sortis d'un mélange entre Grateful Dead (pantalons rayés et bottes pointues), les MC5 (perfectos usés et chemises à jabots) et Screaming Jay Hawkins (colliers d'os autour du cou et bagues d'émeraude). Ils sont bien sûr armés des instruments cultissimes de l'époque : orgue Vox au son aigrelet (tenu par la ravissante Jana Caldwell), basse et guitare Phantom, ces fameuses grattes hexagonales au corps réduit au minimum (respectivement Gabriel Hammond et Vince Dante) et batterie Ludwig (actionnée par Roger Ward). Le maître Rudi Protrudi manipule quant à lui une Gretsch noire, d'époque, est-il besoin de le préciser.

Et c'est parti pour un show qui va nous emmener aux confins des banlieues industrielles de Chicago ou de Detroit et sur la route 66 jonchée de sable et de mirages lysergiques. Dès le départ, She's wicked donne le ton : le groupe est en grande forme et semble vouloir tout donner. J'ai devant moi Gabriel Hammond qui promène le manche de sa basse sous mon nez. Rudi Protrudi n'est pas loin et mène avec expérience son équipe, malgré quelques petits problèmes de batterie au début du concert.

Le groupe place d'entrée deux énormes classiques (tout est relatif…) du garage punk US : The Bag I'm in des Fabs et You burn me up and down de We The People. Fabuleux. La transe me gagne et je m'agite comme un forcené devant la scène avec mon camarade Michel. Nous devons être les deux seuls zigotos à s'éclater de la sorte dans une salle remplie de 150 parisiens dans l'expectative. Mais allez-y, les parisiens, lâchez-vous, puisqu'on vous dit que c'est du bon !

Les Fuzztones vont aligner 14 titres au cours d'un show impeccablement réglé, où la paire composée par le bassiste et le guitariste se livrent à des acrobaties synchronisées et où la jeune Jana Caldwell apporte une couche d'orgue hanté fleurant bon le film d'épouvante de série B. Le grand Rudi, chemise à fleurs et gilet de cuir, harangue la foule en tentant de convaincre les filles des bienfaits de la sodomie (une façon très personnelle de draguer les louloutes du premier rang). Il nous gratifie également d'une rareté : une chanson écrite par lui en 1966 alors qu'il était adolescent et qu'il jouait dans le King Arthur's Quart, intitulée They're gonna take you away.

L'un des sommets du show sera aussi l'hypnotique Ward 81, une des rares compositions originales des Fuzztones, figurant sur l'album Lysergic emanations. Pas moins de six titres du dernier album Salt for zombies sont joués sur scène et Rudi Protrudi nous promet la sortie prochaine d'un successeur à cette galette riche en émotions (My brother the man, Get naked, Face of time, Don't blow your mind et les deux morceaux qui concluent le set, Hallucination generation et This sinster urge).

Le public réclame à corps et à cris un premier rappel qui démarre sur I never knew et prend des allures de tour de force, avec un long morceau psychédélique suprême où Rudi Protrudi extraie de sa Gretsch des sons d'une autre dimension. Puis c'est un second rappel qui achève de marquer le triomphe du groupe sur les planches du Nouveau Casino, avec We're pretty quick (du tout premier album) et un magnifique Strychnine des Sonics, où l'on voit Rudi Protrudi descendre dans le public et faire crier les gens dans son micro. Vous pensez bien que j'étais de la partie et que j'ai pris un formidable pied, coincé comme les autres en 1966.

Le problème est qu'il a fallu ensuite franchir la faille espace-temps dans l'autre sens pour revenir en 2005, attraper le dernier métro après avoir parcouru les rues parisiennes sous une pluie battante. Sniff !

François Tout pour le Fuzz(tones).

 


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