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Sunn O))) + Troum + John Wiese, 03/04/2005, Luchtbal, Anvers (Belgique).

Sur le chemin de l'expérimentation totale, ce concert a été une étape décisive. Si vous voulez devenir fou en moins de quinze jours, suivez Sunn O))) lors de sa tournée européenne qui ravage actuellement quelques villes infortunées. Ce soir, tout a participé à l'érection du bizarre en système de pensée. Si c'est si louf que ça, me direz-vous, pourquoi y es-tu allé ? Eh bien, parce que Sunn O))), c'est du Doom ! C'est parent avec le Stoner, c'est repris sur les sites Stoner, ça fait partie de l'incontournable encyclopédie "Doom, Stoner & Gothic Metal" paru aux éditions Rockdetector. C'est une expérience que l'amateur éclairé de Doom et de Stoner doit avoir fait pour comprendre la signification de son parcours initiatique. C'est un peu comme écouter l'intégral du morceau Jerusalem de Sleep (52 minutes dans un mur de guitares épaisses et obscures). Ceux qui font ça sont des stoneux sérieux et ceux qui ont survécu à un concert de Sunn O))) sans partir en courant ou en n'ayant pas la chiasse peuvent se considérer comme ayant passé une épreuve initiatique importante.

Je vous fais peur ? Regardez ce que j'ai enduré.

Mes camarades et moi sommes arrivés tant bien que mal dans un petit théâtre anversois, avec places attribuées. Neuvième rang, de quoi résister à l'attaque frontale. Assis confortablement (ce qui nous a permis de roupiller de temps en temps…), nous avons vu arriver au tout début John Wiese, un garçon qui a, pendant une demi-heure, trituré des appareils électroniques transformant et distordant un seul son : celui du grésillement d'un écran de télé. Une expérience cosmogonique et hallucinogène...

Nous sommes ici face à de l'art abstrait sonore, une élucubration sur fond de bip sonore et de crissements de frein perpétuel, faisant penser au bruit d'une machine à écrire s'écrasant du troisième étage sur la toiture en zinc d'une véranda. A côté, Jean-Michel Jarre fait du disco. Des spectateurs ont fui dès la première minute, ils ne sont sans doute pas habitués à ce son, digne héritier des expérimentateurs allemands des années 70, Klaus Schulze ou Popol Vuh. Heureusement qu'on est assis…

Si le téléphone portable du type sonnait, il ne s'en apercevrait même pas. Cela me fait un peu penser à Z'Ev, un folingue qui faisait des concerts uniquement en tripatouillant des boîtes de conserve et autres déchets métalliques à même le sol pendant des heures. Rassurez-vous, c'était aux Etats-Unis et c'était il y a longtemps (fin des années 70). Au beau milieu de cette expérience de cannibalisme sonore, les notes semblent se phagocyter entre elles. On a l'impression d'être dans une opérette pour condensateur.

Conclusion : il est clair que cette musique vous aidera à devenir une onde. A côté de ça, le Metal machine music de Lou Reed (1975), c'est de la guinguette, le petit bal du samedi soir.

Après cette agression alien impitoyable, Troum met la deuxième couche. Il y a d'abord l'installation d'une table d'instruments électroniques, avec un djambé (tam-tam africain) branché à la sortie du circuit, comme un gaffophone monté sur Mécano. L'ensemble fait penser à un établi destiné à sculpter le son.

Sans personne sur scène, un bruit de frigo distordu à l'extrême s'étire, fusionné avec une altération de chants bouddhistes. Un truc idéal pour le centre Pompidou… Comparé à ça, Pink Floyd est un groupe de death métal.
Deux types arrivent enfin et l'un saisit un accordéon, mais ce n'est pas pour jouer du Yvette Horner. Il utilise les soufflets de l'instrument pour créer une onde bruitiste douce et continue, tandis que son camarade émet des sons dans un micro. Je ne dis pas qu'il chante car on n'entend rien. Il essaie peut-être de faire résonner sa dent en or, qui sait ? Grâce à ce procédé, une note ondulatoire est répétée à l'infini et ça dure comme ça tout le temps. De temps à autre, le "chanteur" utilise un balalaïka, pour changer un peu. Le son augmente progressivement, jusqu'à donner un effet de turbine. Au bout d'une heure, les "musiciens" ont troqué leur accordéon et autre balalaïka pour des guitares électriques (des Fender Telecaster, si vous voulez tout savoir) qu'ils utilisent pour faire monter toujours plus haut leur onde sonore et leur note unique. Moins irritant que le premier mais quand même sacrément décalé.

Après tout ça, que peut-on imaginer de plus dans la progression vers l'ultime ? Sunn O))), sans aucun doute. Ce combo plus qu'étrange fait l'objet d'un véritable culte. Le jour d'après, j'ai assisté à un autre concert à Paris avec un T-shirt Sunn O))) sur le dos, et trois types m'ont abordé avec de l'admiration dans les yeux, juste pour discuter.

Ce groupe vient des Etats-Unis et est le projet parallèle de Greg Anderson (Goatsnake, Burning Witch) et de Stephen O'Malley (Burning Witch). Leur premier album The Grimmrobe tapes est entré dans la légende du Doom ultime en étant produit en l'an 2000 par Scott Reeder, un vétéran de Kyuss. Depuis, Sunn O))) a sorti deux autres albums, White 1 et White 2, qui ont un point commun : trois morceaux de 20 minutes chacun, uniquement basés sur un riff à deux accords, ultra-lourd et excessivement cosmique. Ce type de son, tellement axé dans les graves, est réputé provoquer des vibrations dans les intestins. Avis aux constipés : Sunn O))) sera peut-être un jour en vente dans les pharmacies et remboursé par la Sécu.

La préparation du show se fait à l'aide de l'utilisation massive de fumigènes (quand on pense qu'à l'entrée de la salle, il est écrit "Interdit de fumer", ça fait rire…). Puis, sur une scène occupée par un muret d'amplis, quatre moines au visage dissimulé dans une capuche apparaissent. Il y a deux guitaristes, un claviériste et un préposé à une table d'effets. Ils jouent sans fin la même note épaisse et gigantesque comme une éruption volcanique déroulée au ralenti. On peut parler ici de Doom-Space électronique réduit à son expression minimaliste. La pochette du CD The GrimmRobe tapes qualifie la musique de Doom-Power-Ambient-Drone-Invokation. Le style parle de lui-même. Les musiciens évoluent avec des gestes lents et posés, quasiment sacralisés.
Un roadie alimente sans cesse des canons à fumée, inondant la salle dans un nuage impénétrable. J'imagine la tête des deux mémères qui vendaient les billets à l'entrée. Si elles sont restées, elles ne s'en remettront sans doute jamais…

Sunn O))) enferme l'espace sous un igloo de sons vitrifiés. On se retrouve dans un gigantesque tube d'acier froid qui résonne infiniment au cours d'une vibration sismique éternelle. Il n'y a qu'une carcasse de riff qui déchire l'air en une unique lamentation vrombissante. Puis, à un moment, les guitaristes s'en vont et les autres musiciens exploitent les effets pendant de longues minutes. On se croirait dans "Planète interdite", avec des hululements de stroboscopes et d'inquiétants glissements de terrains sonores qui entraînent l'oreille vers des abysses de sons glacés et lobotomisés. Sur la scène, un spot projette un (((O))) rouge sur le rideau, marquant les esprits et enfermant les auditeurs dans une boîte sonique étanche qui n'impose qu'une seule philosophie, celle du son atonal interminable. Le volume est si fort que j'ai l'impression de ne pas avoir de boules Quiès. Pourtant, elles sont enfoncées jusqu'aux abords du cerveau.

S'il n'y a qu'une seule définition à donner à cet exercice, c'est celle de musiciens qui chercheraient à entrer obstinément dans une onde sonore pour ne faire plus qu'un avec elle.

Après une heure et quinze minutes de ce délire sonore monolithique, les musiciens de Sunn O))) s'arrêtent et nous remercient en joignant les mains et en disparaissant derrière leur rideau de fumée. Je ne pense pas utile d'ajouter qu'il n'y a pas eu de rappel, ça m'aurait étonné que Sunn O))) nous joue une version punk de Let's spend the night together pour nous souhaiter la bonne nuit.

François Tout pour l'étrange.

 


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