Voilà quinze ans, le quatuor Jane's Addiction déboulait
telle une météorite dans le paysage rock américain,
alors dominé par une scène hard rock ultra formatée,
faisant davantage la part belle aux coupes de cheveux des musiciens
qu'à la qualité des compositions.
Pionniers de la révolution musicale qui allait contribuer
à installer Nirvana, Soundgarden, Red Hot Chili Peppers
ou Rage Against The Machine sur le trône, la bande menée
par le vocaliste Perry Farrel et son sideman virtuose, le guitariste
Dave Navarro, démontrait avec brio que la créativité
ne s'encombre pas de la superficialité des clivages. Ils
réussissaient le tour de force de synthétiser les
influences les plus disparates (folk, métal, rock indé,
prog rock
) sur deux albums, Nothing's Choking et Ritual
De Lo Habitual.
C'est donc avec une pieuse impatience que les esthètes
attendaient la nouvelle offrande de leurs favoris. Reformés
après 12 ans de séparation, tous les membres du
groupe ont mis leur expérience au profit d'explorations
vers des pistes peu balisées (Farrel
et le batteur Stephen Perkins au sein du très acoustique
Porno For Pyros, Navarro
dans divers projets au retentissement public très mince,
exception faite de son orageuse cohabitation au sein des Red Hot
Chili Peppers de 1993 à 1997).
Strays ne décevra pas ses fans : en reprenant, sans l'édulcorer,
leur formule à base de riffs acérés et d'ambiances
éthérées, entrecoupés de flamboyances
techniques, en déjouant astucieusement les écueils
de l'uniformité grâce à l'alternance de brûlots
et de ballades, de perles groovy et de diamants épiques.
Jane's Addiction joue la carte de la continuité.
A ceux qui aurait l'audace de les taxer d'immobilisme, voire
de passéisme, on répondra que c'est en refusant
d'adhérer au cahier des charges de l'époque que
le groupe s'était détaché de la meute. Et
il ne semble toujours pas décidé, à juste
titre, à brader sa singularité. Intemporelle, la
moelle de ces défricheurs n'a pas pris une ride, au point
que l'on se prenne à espérer un deuxième
avènement.
Tous les dealers de rock n'ont qu'à faire profil bas :
il suffira d'une seule écoute pour que leurs clients deviennent,
eux aussi, accros à Jane.
|